ROMAN NOIR

DES THRILLERS QUI DEMENAGENT.

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LECTURE GRATUITE SANS INSCRIPTION.

DES EMBROUILLES, DE LA DOPE, DES ARMES, DES CAÏDS AUX DENTS LONGUES, DU SUSPENSE, DE L'ACTION... DES TEXTES NOIRS.

EN VOICI UN.

 

                                                                        CUL DE SAC

 

 

 

 

                                                                           GASPARD

 

 

Gaspard était affalé dans le canapé. Sur la table basse, près de lui, un sandwich à demi entamé et une canette de bière étaient posés au milieu des restes de nourriture de la veille. Un carton à pizza et des bouteilles de Kro. Dans le cendrier, un joint se consumait. Ça puait la zeb dans toute la baraque et jusque sur le palier. Gas s’en branlait. A l’étage, ils fumaient presque tous. Pas les retraités du 63, mais les autres, ouais. En minorité, les vieux. Pouvaient pas moufter.

 

Entre ses mains, il tenait sa manette de Xbox et les yeux rivés sur l’écran géant du téléviseur, il tentait de marquer un but au Réal avec l’équipe du PSG. Un challenge perso. Il essayait de se détendre. Dans pas longtemps, ils allaient venir le chercher et ils monteraient sur le braquage du fourgon. Dire qu’il n’était pas inquiet aurait été faux. Il était super stressé. Non pas à cause du braquage. Non. Ce n’était pas le premier. Mais là, ce n’était pas pareil. Il tentait un coup de poker. Enfin, on lui avait mis le deal entre les mains et il n’avait pas eu le choix. Il aurait pu se casser, mais pour aller où ? Une vie de fuyard. Pas bon. Il pensait pouvoir s’en tirer. Après tout, c’était pas si dur. Une fois la pilule avalée, ça devenait plus simple. L’orgueil, la fidélité, ouais, c’était beau. Mais la taule, ça craignait.

 

Sur l’écran, Ronaldo et Benzema, grâce à un "une deux" imparable, s’étaient faufilés dans la défense en mettant dans le vent Thiago Silva et Alex. Ronaldo était allé seul, marquer d’une cacahuète en pleine lucarne. Gas a balancé la manette par terre et il a attrapé le joint. Il était éteint. Il a balancé le pétard qui est allé rejoindre la manette, puis il s’est levé. Ses affaires étaient prêtes mais il préférait vérifier encore. Il est passé dans la petite chambre. Les volets étaient fermés. Il faisait sombre dans la pièce. Il a allumé la lumière. Des bouquins traînaient un peu partout, des thrillers. Un mec qui écrivait des histoires comme celles que lui il vivait. Cash. Il adorait cet auteur et il avait acheté tous ses bouquins. Enfin, presque tous, parce qu’il en avait volé certains. Sur le lit, une paire de gants souples, l’émetteur récepteur qu’il devait planquer sur lui avant de partir, son calibre principal et le second pour l’étui de cheville, la cagoule et le survêtement noir, sans marques.

Il a ramassé la première arme, a pris le désignateur laser sur la table de chevet et l’a fixé sur le calibre. C’était un five-seven. Un pistolet automatique construit par la FN Herstal. Carcasse en plastique polymère. Il pouvait exploser les gilets pare-balles et on pouvait fixer dessus, torche ou laser. Les agents des services secrets américains en étaient équipés. Il a reposé l’arme sur le lit et s’est saisi de la deuxième. Un Glock 34, calibre 9mm, 17 coups. Il a extrait le chargeur. Plein.

Puis il a enlevé ses vêtements. Une fois en caleçon et torse nu, il a commencé à scotcher le micro sur lui. Dans le creux, entre les pecs, et le boîtier ensuite, sur le haut de la cuisse. Aucune chance qu’il soit fouillé de toute façon.

 

Gaspard a enfilé le survêtement et le sweet à capuche. Il a mis le Glock dans l’étui de cheville et rabattu la jambe du pantalon. La droite. Il a passé l’étui d’aisselle par dessus le sweet et y a fourré le Five-Seven. Le blouson était sur le porte-manteau du salon et il est allé y mettre la cagoule. Il était huit heures du matin et il n’avait pas dormi des masses. Et ce putain de scotch qui commencait déjà à le démanger. Il a ramassé le pétard et l’a rallumé avant d’aller s’ouvrir une bière. Ça le calmerait peut-être.

 

Ces enculés l’avaient serré en douceur. Sur un plan de merde en plus. Mais il avait voulu le faire à cause de Chloé. Il voulait lui offrir une bague de fiançaille avec un vrai diamant. Tout avait super bien marché et il s’était dit que ce n’était pas la peine d’attendre des siècles avant de faire sa demande. Il avait peur de la perdre. C’était pas une petite conne des quartiers. Elle avait la classe, Chloé.

Des fois il se demandait ce qu’elle pouvait bien foutre avec lui. Il avait compris quand elle l’avait coincé en lui foutant sa carte de schmidt sous le nez. Putain ! La baffe ! Alors pour le deal, il n’avait pas eu trop le choix. Obligé d’accepter. Toutes des putes, bordel ! Si Bronco et les autres savaient ça, ils le foutraient dans un baril avec du ciment. La tête en bas et direction la Seine. Comme l’autre abruti, là, comment il s’appelait celui-là, déjà... ? Angelo. Ouais, Angelo. Qui avait poussé ses pions un peu trop loin. Rien que d’y penser, et il pourrait en pisser dans son froc. Déjà qu’il avait une peur bleue de la noyade et de l’étouffement ! Là, c’était le summum. De toute façon, c’était surtout grâce à Pablo qu’il avait réussi à tenir sa place dans le gang. Putain ! Combien de fois il avait gerbé au début ? Il n’était pas fait pour ça. Pas assez de tripes.

Il ne savait pas pourquoi Pablo l’avait pris sous son aile, comme ça, mais il lui devait une fière chandelle. Il n’avait vraiment confiance qu’en lui. Les deux autres étaient complètement barges. Il a écrasé le cône. Ça l’avait encore plus stressé. Il a mis la télé sur BFM et a écouté les infos d’une oreille distraite. Son portable s’est mis à sonner. Il a répondu.

 

   — Ouais, allo...

 

   — ...

 

   — Ouais

 

   — ...

 

   — Ça devrait plus tarder.

 

   — ...

 

   — Bien sûr que j’suis prêt mais j’me d’mande si c’est une bonne idée. Ils...

 

   — ...

 

   — Ouais... je sais.

 

   __ ...

 

   — Mais ouais, j’vais l’faire.

 

   — ...

 

   — Ouais... OK.

 

Bande de gros bâtards ! Ils ne risquaient rien, eux ! C’était facile. Ils le tenaient par les couilles, ces enculés. Bon, allez ! Calmos. Tout baigne. Y a pas de raison de s’angoisser putain ! Pourquoi il avait les mains qui tremblaient comme ça, alors ? Il s’est rué vers la chambre et dans le tiroir de la table de nuit, il a pris le sachet en plastique. Il avait dit qu’il n’y toucherait pas avant le braquage mais il fallait vraiment qu’il se calme. Plus l’heure approchait et plus il avait les foies. Il savait que c’était irrationnel, mais pas tant que ça. Se faire couler dans le béton, c’était vachement rationnel. Ça lui parlait trop.

Il s’est fait un rail. Puis un deuxième avant d’aller s’écrouler dans le canapé en attendant la montée. A la téloche : baston Copé/Fillon. Un quart d’heure plus tard, il allait carrément mieux. Plus d’angoisses. Ça allait se passer en douceur et lui, il pourrait se barrer  tranquille, sans la meute au cul. Les flics lui avaient dit qu’avec le programme de protection des témoins, il aurait un nouveau blaze et de la thune pour repartir de zéro. Ça le ferait.

Il s’est mis à piquer légèrement du nez, imaginant une ville pépère de province où il recommencerait sa vie. Quelqu’un a sonné à la porte et Gas a fait un bond dans le canapé et puis il s’est levé, la tête dans le cul, pour aller ouvrir. Pablo, à tous les coups.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                         PABLO

 

L’homme s’était fait coincer dans les chiottes. Il n’en menait pas large. Son visage était tout rouge et il suffoquait. Lui écrasant la trachée, l’avant-bras de Pablo appuyait fermement. Leurs deux nez se touchaient presque. Le type était en train de téléphoner quand il l’avait chopé. Aux queufs. Il en était sûr. Petite merde ! En salle, il avait fait tomber son paquet de clopes sous la table et en se penchant pour les ramasser, son veston s’était soulevé, dévoilant l’automatique qu’il portait au creux des reins. Le mec était assis à côté et il a tout capté. Pablo l’a vu. Du coin de l’oeil. Le type était malin. Ou prudent. Il avait attendu cinq bonnes minutes avant de se lever pour se diriger vers les toilettes et les deux cabines téléphoniques. Alors Pablo l’avait suivi et voilà.

 

   — T’appelais qui, connard ?

 

   — Hein ? Mais... personne !

 

La réponse qui tue.

 

   — T’es au téléphone et t’appelles personne ?

 

Pablo lui a mis le calibre sous l’oeil. Il l’avait traîné dans un des chiottes au cas où un connard entrerait.

 

   — Tu vas me dire qui t’appelais ou j’te fais sauter la tête.

 

   — ...J’m’ex... excuse. Je savais pas... pardon...

 

   — Tu savais pas quoi ?

 

   — ...Je sais pas. Pardon... j’voulais pas...

 

   — C’était les flic ?

 

   —    —

Oui, oui... mais j’ai eu le temps de rien leur dire. Je le jure. Sur la tête de mes enfants je...

 

 

   — Ta gueule ! Tu vas sortir et aller te rasseoir où t’étais. Et tu vas rester là, compris ?

 

   — Oui. D’accord.

 

   — Dégage !

 

Le type était cramoisi. Il a filé en salle comme une flèche.

 

 

Pablo s’est lavé les mains et il est sorti à son tour. Il a jeté un regard noir au mec qui était retourné à sa place, et puis il a quitté le bar.

 

C’était pas le jour pour se faire repérer. Il avait un boulot difficile à exécuter et il n’était pas question de foirer. Enfin, difficile... c’était pas le travail en lui-même, mais l’enjeu que ça représentait pour lui. Une fois dans la rue, il s’est mis à remonter le boulevard. Il devait être aux alentours de huit heures et c’était un gros bordel. Ça klaxonnait de tous les côtés, entre les bus, les taxis, les livreurs qui foutaient leur merde, garés n’importe comment. Entre les piétons et les cyclistes qui prenaient les trottoirs, c’était l’heure idéale pour tous les business. Incognito. Perdu dans la foule des badauds.

Mais pour aujourd’hui, ça ne lui servait à rien. Ils allaient faire ça dans un coin tranquille. Il allait falloir qu’il se farcisse les deux mongols de frangins, par contre. Putain ! La plaie ! Complètement cramés, les mecs. Qui carburaient au speed. Bon, sur un coup, ils assuraient. C’était pas la question. Ils étaient bien un peu trop violents sans raison mais il n’y avait jamais eu de morts. Jamais pendant les coups, en tout cas. La plus glauque, ç’avait été celle d’Angelo. Putain de merde ! Une sacrée expérience de voir ça ! Ils l’avaient collé vivant dans un baril plein de ciment à prise rapide. Pourtant, il s’était débattu, ce con. Ils auraient pu l’assommer pour être tranquilles. Mais non. Ils l’avaient maîtrisé et ils avaient réussi à lui coller la tronche dans ce putain de baril. Gaspard était pétrifié, un peu à l’écart. Il détournait la tête, comme toujours, et peut-être même qu’il allait gerber ce coup-ci. Le pauvre Angelo avait gigoté longtemps, en filant des coups de pieds, ses jambes partant dans tous les sens. Mais Bronco avait mis ses deux bras autour de ses genoux et l’avait empêché de continuer à ruer. Il avait regardé son frère, Bach, et ils s’étaient marrés.

Au bout d’un moment, évidemment, le mec avait fini par rester tranquille. Les deux tarés s’étaient allumés une clope, au risque de se faire repérer en pleine nuit, et Pablo s’était approché du baril. Par curiosité. A ce moment là, le mec avait eu un spasme. Une espèce de soubresaut post-mortem, et il avait fait un bond d’au moins deux mètres, ce qui n’avait pas manqué de faire se gondoler les deux narvalos.

 

Pablo s’en foutait. Ce qu’il voulait, lui, c’était intégrer le gang. Car il ne se limitait pas à ces deux abrutis. Mais pour taper plus haut, on lui avait dit qu’il fallait qu’il fasse ses preuves. Pour Angelo, ils voulaient lui montrer ce qu’ils faisaient aux balances. Mais il n’avait pas eu le droit de toucher. Juste regarder. Ils lui avaient réservé une autre épreuve pour aujourd’hui. Il était prêt. Ils partiraient à quatre. Avec Gaspard. Trop sensible celui-là. Il avait encore gerbé, du coup, ce jour-là.

 

 

Il ne se sentait pas si mal, ce matin, lui. Alerte. Une fois le boulot fait, il pourrait approcher les mecs qu’il visait. Pas les boss, mais juste en dessous. Il comptait bien faire son trou ici. Ça faisait deux ans qu’il était sur des coups moyens. Elimination de cibles, braquages de bijouteries, deux banques. C’était bon. Il estimait avoir fait ses preuves. Maintenant, s’il fallait qu’il prouve sa loyauté à la famille... ben, ouais ! Pourquoi pas ? Il n’avait pas les nerfs fragiles, lui. Fallait tuer ? Il tuait. Fallait braquer ? Il braquait. Il s’en foutait de la cible. Toujours des branleurs, à son niveau. Quand il était à Kiev, c’était pas la même. Les ukrainiens, c’était pas des tendres. Toujours bourrés. Et ils avaient l’alcool mauvais. Avant que t’aies pu comprendre, t’avais pris une bastos dans l’oeil.

 

Tout à ses pensées, Pablo avait dépassé la station de RER St Michel. Il s’est dit qu’il allait le choper à la prochaine. Luxembourg. Après, RER B jusqu’à la gare du nord. Arrivé au jardin du Luxembourg, il s’est engouffré dans la station. Il a acheté son ticket et il est descendu sur le quai attendre le train. Arrivé à la gare du nord, il avait encore un peu de temps devant lui et il s’est dit qu’il allait aller boire un café en attendant les deux tarés. Il est sorti de la gare et s’est dirigé vers le troquet le plus proche. De là, il verrait la rue et l’arrivée des deux frères. Quand il est entré dans le bar, les gens l’ont maté. Comme toujours. Il avait l’habitude. Il faisait un peu plus d’un mètre quatre-vingt-dix, une bonne centaine de kilos et sa tronche faisait peur. Vraiment peur. Il portait une fine moustache qui descendait sur les côtés de sa bouche imposante pour aller rejoindre un petit bouc tressé. Sur un autre, ça aurait fait ridicule. Sur lui, c’était une tresse très stressante.

 

Pablo était un black aux yeux noirs et au regard mort. Froid. Il n’y a que quand il tuait ou se mettait en fureur, ce qui revenait presque au même, que ses yeux s’animaient, habités par un esprit terrifiant qui les faisait briller d’une lueur malsaine. Ça faisait près de deux semaines qu’il était au courant pour aujourd’hui. Il avait eu le temps d’y penser. Ils croyaient peut-être lui foutre la pression, mais ils se gouraient. Ils se prenaient pour des durs et c’est sûr qu’ils n’étaient pas tendres. Mais comparés à lui, c’étaient des enfants de choeur. Lui, l’amitié, il ne savait pas ce que c’était. Il y avait ceux qui se faisaient bouffer et ceux qui bouffaient. Et parmi ceux qui bouffaient, il y avait des prédateurs sans pitié. Prêts à tout. Il en faisait partie et la France lui semblait un pays de cocagne après la Mauritanie et l’Ukraine. Il a commandé un café et l’a bu noir et sans sucre. Une vrai merde !

 

Il était au comptoir et malgré l’affluence au bar, les clients s’étaient écartés. Un réflexe. Il s’en foutait royalement. Tous ces cons n’existaient même pas pour lui. Il allait demander un verre d’eau au barman pour virer ce sale goût qu’il avait dans la bouche, quand il a vu la mercedes débouler devant la gare. Il a payé et est sorti rejoindre les deux truffes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                BRONCO et BACH

 

 

Bronco et Bach sortaient de boîte. Il était six heures trente ce dimanche matin. Comme ils étaient bourrés de speed et qu’en plus il s’étaient enfilés des rails de coke toute la soirée, ils n’avaient pas envie de dormir. Bach s’est mis à pisser contre un réverbère et Bronco lui a dit qu’il ressemblait à un pauvre clebs. La mercedes était garée plus haut et ils ont remonté l’avenue pour rejoindre la caisse. Bach était farci et il avait du mal à marcher droit dans son costume à sept cents boules. Il y avait des taches sur sa chemise. Du whisky. S’il n’avait pas été bourré de speed, il serait tombé mort saoûl. Bronco n’avait pas bu. Ça ne lui réussissait pas. Il devenait bargeot et il ne savait plus ce qu’il faisait. Déjà qu’en temps normal, c’était chaud...!

 

La dernière fois qu’il avait bu, c’était près de Tours. Ils faisaient la tournée des caves de la région et à chaque fois, ils buvaient quelques verres. Forcément, en milieu d’après-midi, ils ont commencé à être bien torchés. Ils s’étaient retrouvés dans un château, à Nazelles-Négron, près d’Amboise. Assez paumé quand même, le bled. La gonzesse qui faisait visiter la cave était plutôt gironde et Bronco, à la fin de la visite, l’a serrée et lui a mis la main au cul.

Ça aurait pu en rester là, mais Bronco était mort déchiré et pour couronner le tout, la gonzesse lui a mis une tarte. C’est vrai que ce n’était pas malin. Il ne fallait pas sortir de St Cyr pour voir que ce n’était pas la chose à faire. Pas un tendre, le mec. Il l’a chopée par les cheveux et les quelques connards présents se sont barrés en courant. Bach a voulu intervenir et il s’est pris un pain. Il aurait pu insister, mais il connaissait la bête. Trop dangereuse ! Bronco a retourné la nana et il lui a soulevé sa jupe avant de déchirer sa culotte. Elle gueulait comme une truie qu’on égorge. Il était en train de déboutonner la braguette de son futal quand un mec s’est amené en hurlant avec une fourche à la main. Une putain de fourche, le con. Bach a gueulé et Bronco a dégagé la meuf dans le mur. Et puis il s’est avancé vers le type et a sorti son arme en la pointant sur sa tronche. Le mec s’est arrêté, tétanisé, et Bronco lui a fracassé la face avec le calibre. Après, ils ont tracé vite fait à la bagnole et direction l’autoroute pour Paris.

 

Un peu plus tard, une fois qu’il est redescendu, Bronco a juré qu’il ne boirait plus. S’il avait été capable de boire deux ou trois verres, encore, et de s’arrêter, ça aurait été jouable. Mais c’était impossible.

 

Bronco a déverrouillé la caisse et ils sont montés. Bach voulait passer vite fait à l’appart prendre une douche avant de partir pour la gare du nord où Pablo les attendait.

 

Pablo ! Franchement ! C’était pas un nom de black, ça ! se disait Bach. Le mec était costaud en tout cas. Et il assurait. Depuis deux ans, ils avaient fait pas mal de trucs ensemble et il n’y avait jamais eu de problèmes. Quand ils avaient plombé Angélo, il était resté là à mater, impassible. Un vrai bonhomme. Sauf quand il a voulu s’approcher du baril et que le macchabé s’est mis à bouger. Il a eu une de ces trouilles. Mais il méritait bien de monter en grade. Il avait de l’ambition. Il ne comptait pas se mettre en travers de son chemin.

 

Lui et son frère, ils s’en foutaient. Ils n’aimaient pas les responsabilités. Ils préfèraient exécuter les ordres. Tuer, c’est ce qu’ils aimaient le plus. Les braquages, c’était chiant. Trop de stress. Avec la peur de te prendre un pruneau ou de te faire serrer. Ils avaient toujours bossé ensemble, les deux frangins. Comme le petit couple qu’ils étaient. Ils habitaient tous les deux et avaient leurs petites scènes de ménage. Bach était un gros porc, par exemple. Il laissait de la merde au fond des chiottes, ce qui avait le don de foutre Bronco en rage. Ses caleçons ou ses chaussettes puantes traînaient partout. Et Bronco était maniaque. Pas de bol. Mais quand Bach voyait qu’il atteignait le seuil limite et que ça allait bientôt péter, il se mettait à ranger frénétiquement, ce qui avait le don de mettre Bronco deux fois plus en rage.

Dans les placards, ils avaient chacun leurs petits coins. Pour la bouffe, pareil. Bach se tapait des merdes surgelées, des gâteaux secs et beaucoup de bière. Bronco prenait du jus de fruits 4 agrumes, cuisinait des petits plats et mangeait des petits-suisses. La téloche ? Bach aimait la une. Secret story, star academy, les experts et un tas d’autres merdes du même genre. Bronco regardait volontier Arte ou la cinq.

La vie ensemble n’était pas de tout repos. Mais pour tuer, ils étaient sur la même longueur d’onde. En harmonie. Pour les braquages aussi. Ils se connaissaient si bien. Pas besoin de parler. Ils étaient liés à la vie à la mort par leurs crimes et par leur sang.

 

Une fois dans la Mercedes, Bronco s’est mis au volant et s’est engagé dans la circulation. Bach a allumé une clope et son frère a commencé à gueuler..

 

   — Balance-moi cette clope, putain !

 

   — Nan ! Tu m’fais chier.

 

   _ Ecoute-moi bien, Bach. Vire cette clope ou c’est toi qu’je vire. Il a ouvert la fenêtre de Bach.

         

  _ Nan ! T’es un rabat-joie, Bronco. T’es mon frère, bordel, mais tu m’casses les couilles. T’as un balai dans’l’cul, mon pote ! Tu m’saoûles avec tes programmes à la con, tu bois pas... on s’fait chier avec toi et en plus tu gonfles !

 

Bronco a garé la bagnole sur le bas-côté.

 

 _ Qu’est-ce qu’il y a aujourd’hui ? T’as pas pris ma main dans la gueule depuis un moment et ça te manque ? Vire cette clope !

 

_ Vas t’faire enculer. C’est pas ta caisse ! C’est celle que l’Boss nous a filée. Je fume dedans et j’t’emmerde.


Bronco était le genre de type à basculer d’un coup. Un truc s’allumait dans ses yeux et c’était mort. Ou t’étais mort. Mais ce seuil passé, pas de retour en arrière. Bach le savait très bien, mais allez savoir pourquoi, ce matin là, il lui a tenu tête.

Bronco a refermé la fenêtre. Il a mis son clignotant et s’est engagé à nouveau dans la cohue. Sans un mot. Bach était perplexe. Il a tiré une latte de sa clope et puis il l’a balancée.

Elle avait un sale goût, d’un coup.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                 BRONCO et PABLO

 

Pablo a traversé l’avenue et il est monté dans la mercedes. Bronco était seul. C’était bien la première fois qu’il voyait un des frangins sans l’autre. Il s’est installé à l’avant du coup. Ça sentait la cigarette. Bronco ne fumait pas. Il ne buvait pas, ne fumait pas, baisait peu. A chaque fois qu’ils allaient aux putes ou que le patron leur filait une prime en gonzesses, Bronco n’était pas enthousiaste. Un drôle de mec. Bach était plus franc du collier. On savait à quoi s’attendre avec ce gros lourdingue. Il avait beau mettre des costumes hors de prix, c’était quand même un gros bourrin. Et prévisible.

 

   — Salut

 

   — Ça va ?

 

   — Ouais. Il est où Bach ?

 

   — Pas pu v’nir.

 

   — Un problème ?

 

   — Non, non. La famille. Un décès.

 

   — Ah ! Merde ! Un proche ?

 

   — Oui.

 

Ils ont pris la direction de Bagnolet. Le jardin des buttes. C’est là que Gaspard crèchait. Ça le faisait marrer, Pablo, au début, tous ces noms champêtres, parce que la plupart du temps ça cachait de grosses zones pourries. Des cités dégueulasses. Le Nord de Paris. Ça craint. Il regardait à travers le carreau la grisaille défiler. Usines, hangars, entrepôts... Il n’aurait pas aimé vivre par ici. Mr Batista lui avait filé un bel appartement à Alésia. Dans le 14ème arrondissement. Enfin, filé... il payait un loyer mais ça valait le coup. Le Sud de la capitale, c’était autre chose quand même ! Il s’est mis à penser au taf qui l’attendait. Ça allait être vite expédié et après... Il allait gravir les échelons quatre à quatre. Si Mr Batista lui avait fait une faveur avec l’appart, c’est bien qu’il l’avait à la bonne, non ? Donc ça ne devrait pas être dur de lui montrer de quoi il était capable. Quand il voyait ces deux là, il se disait que ça serait encore plus facile. A part tuer ou passer des types à tabac, ils ne savaient rien faire d’autre. Quoi que pour Bronco, on pouvait se poser la question. Il n’était pas idiot. Loin de là. Et le Boss avait une confiance totale en lui. Tous les cas un peu difficiles, c’était pour les frangins. Bach, seul, était incapable de faire quoi que ce soit. Mais à deux, ils étaient redoutables. Seulement, aucun doute, la tête c’était Bronco.

A cet instant, celui-ci conduisait, pensif. Il portait une paire de gants en daim. Pablo a inspecté son arme. Un SIG Sauer 226 Xfive. 19 bastos dans l’machin. Calibre 9mm Luger. Un peu lourd. 1,4 kgs. Bronco lui a jeté un regard.

 

   — T’es prêt ?

 

   — Plus que prêt.

 

   — Y’a pas à s’faire de mourron. J’suis là. Même si c’est toi qui va faire l’gros du boulot. T’as quoi comme flingue ? Que le SIG ?

 

 

Pablo s’était demandé pourquoi il lui posait cette question. Normalement il n’aurait pas à s’en servir, sinon... c’est qu’y’aura eu une couille. Et ça serait pas bon pour lui. Mais il avait la carrure. Il avait fait pire. Y’aurait aucun problème.

 

   — Ouais.

 

Bronco préfèrait savoir à quoi s’en tenir. C’est vrai qu’il connaissait bien le black, maintenant. Mais ça ne coutait rien de se renseigner. Normalement, tout devait se passer comme sur des roulettes. Hier soir, le Patron avait donné ses dernières consignes et c’était on ne peut plus clair. Bon, pour Bach, il allait falloir qu’il trouve une excuse. Un truc crédible. Le Boss, il n’était pas con, mais quand même, on pouvait le baiser. En finesse. Lui, il arrivait à se faire le double de fric en grattant à droite, à gauche. Même à Bach, il n’avait rien dit. Jusqu’au jour où l’autre l’avait chopé en flag. A fourrer de l’oseille dans sa poche après un encaissement. Du coup il avait eu un double problème avec Bach.

Il lui avait fait croquer mais ça n’aurait pas pu durer. Trop con le mec. Il aurait bien aimé faire équipe avec Pablo, mais le black voulait gravir les échelons, alors... c’était pas possible. Tous pareils. Ils s’amenaient prêts à bouffer la terre entière. C’était pas le premier. Mais fallait bien dire qu’il assurait, ce con . Une fois le boulot de ce soir réglé, les choses retourneraient dans l’ordre. Il avait tout prévu. Sa part pour le taf de ce soir était plus grosse que toutes celles qu’il avait touchées jusqu’ici. Carmen était fin prête et les valises bouclées. Le boss était au courant qu’il allait se prendre une petite quinzaine après ce job. Il ne l’avait même pas fait chier et ça l’avait étonné. Mais il était lunatique parfois. Un peu soupe-au-lait.

Direction Cuba. De là, St Domingue. Après, ils arriveraient à se perdre au bout du monde. Carmen ! Ça faisait déjà presque un an qu’ils se voyaient et Bach l’avait emmerdé avec ça dès qu’il avait su. C’était le deuxième problème. Mais maintenant, il était tranquille de ce côté là, c’était peinard. Il serait parti avant que le patron ait le temps de comprendre quoi que ce soit.

Ils n’étaient plus très loin de chez Gaspard, maintenant.

 

 

Tendu ? Non. Il allait monter chercher le gamin, comme d’habitude, et ils partiraient vers Stain. Pablo ne savait même pas ce que c’était, qu’être tendu. Il n’avait pas de nerfs. Les braquages, c’est peut-être le seul truc qui faisait battre son coeur un peu plus vite. En Afrique ou à Kiev, ce n’était pas du tout le genre de taf qu’il faisait. Bon, en Mauritanie, c’était pendant le conflit avec le Sénégal et il n’était qu’un mercenaire. A Kiev, c’était surtout de l’intimidation, du racket et du proxénétisme. C’est le cadre confiné des braquages de banques qui le stressait, en fait. Il avait préféré les fourgons. A l’air libre. Il faut dire que sur les banques, c’est Bach qui conduisait et pour conduire... ce con touchait sa bille. En ville, surtout. Ça le rassurait un peu.

 

Arrivés devant le bâtiment, Bronco a garé la caisse et Pablo est sorti pour aller chercher Gas. Il est entré dans l’immeuble et a pris l’ascenceur jusqu’au sixième étage.

C’était pas trop la zone, encore, ici. Arrivé sur le palier du sixième, l’odeur d’herbe lui a filé la gerbe. Ce connard de tox. Il fallait qu’il fume cette merde même avant d’aller faire un boulot ! Et bonjour la repère, en plus. Pablo a sonné à la porte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BRONCO, PABLO et GASPARD

 

 

Ils sont montés dans l’ascenceur et Pablo a appuyé sur le bouton. Les portes se sont refermées et ils sont descendus au rez-de-chaussée. Tu m’étonnes que les frangins l’appelaient "Gaz" au lieu de Gas. Il avait l’air complètement dedans.

 

Gaspard s’est gratté la poitrine. Cette merde de micro. Il était défoncé. Ça l’empêchait de stresser. Le grand black à côté de lui semblait l’observer. Gas a cru utile de dire un truc. N’importe quoi.

 

   — On va s’faire des couilles en or sur ce coup.

 

   — Faut déjà avoir des couilles, pour ça, gamin.

 

Gaspard n’a rien dit. Il ne pouvait pas se la jouer devant lui. A gerber devant les cadavres, il s’était affiché. Pourtant il tenait un peu mieux le coup qu’au tout début.

 

Stain, c’était pas très loin et il avait mis le micro en marche. Ça pouvait tenir quatre heures ce truc là. C’est Chloé qui lui avait dit. Cette salope ! Pourtant, il ne désespérait pas de renouer avec elle. C’est vrai qu’elle l’avait baisé dans les grandes largeurs. Au propre comme au figuré. Mais, putain ! Elle était bonne cette conne ! Comment il lui avait donné ! Il prenait juste un peu d’héro. Pas trop. Pour pouvoir quand même bander, mais sans balancer la purée. Il pouvait tenir des plombes, comme ça, à la faire hurler. Sale chienne ! Il n’arrêtait pas d’y penser. Elle se barrerait peut-être avec lui. Pourquoi pas. Il se trouverait un petit boulot pépère et ils pourraient avoir des gosses. Comme les caves. Et alors ? Il n’avait jamais été fait pour ce milieu et si son frère n’avait pas été embringué avec des malfrats et qu’il ne l’avait pas suivi comme un clebs un cul de chienne en chaleur, il n’en serait pas là. Quand il est mort, il est resté coincé comme un con avec ces débiles ultra-violents. Paumé. Et puis il y a deux ans, Pablo s’était ramené. Maintenant qu’il y pensait, il se disait qu’il avait un peu remplacé son frère. Mais le black était plus dur. Son frangin, à Gas, fallait pas le chauffer. C’était un nerveux et il partait au quart de tour. Ça plaisait pas à Mr Batista et il s’était fait remonter les bretelles plus d’une fois. Mais Pablo, il était froid. Trop calme, au contraire de Pierre.

 

Ils sont montés dans la Mercedes. Gaspard à l’arrière.

 

   — Ça va, Bronco ?

 

  __ Ça roule, gamin ? T’es paré pour aujourd’hui ? Y’aura pas de cadavres mais au cas où, j’tai mis un sac en plastique, derrière.

 

 

Ils se sont fendus la gueule. Pas Gas. Mais il s’en foutait. Il allait bien les niquer. A force de le prendre pour un petit branleur, ils allaient voir. Y’a pas qu’en tuant qu’on se débarasse de grosses merdes comme eux. Ça le faisait chier pour Pablo, mais on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs, non ? Le problème, c’est que le black ne parlait pas. C’était rare. Fallait qu’il ait un truc important à dire. Et Bronco, c’était pas non plus une pipelette.

 

   — Alors c’est à Stain ?

 

   — Ouais, petit.

 

   — Et Bach, il nous retrouve ailleurs ?

 

   — Il vient pas.

 

   — Ah, bon ?

 

   — On l’a remplacé. T’inquiète pas. Ça change rien. Le mec assure.

 

   — Je l’connais ?

 

   — Non, j’crois pas.

 

   — C’est qui ?

 

   — Un type de Melun. Un indépendant.

 

Bronco a jeté un coup d’œil au Black qui rêvassait en regardant à travers le carreau.

 

   __ Tu l’connais, toi, Pablo ? a demandé Gas.

 

   — Pas plus que ça. J’en ai entendu parler. Il connait son boulot.

 

   — Il s’appelle comment ? J’le connais p’t’être, moi aussi ?

 

   __ Non, ça m’étonnerait, a dit Bronco. Et qu’est-ce-que tu nous casses les couilles ? Si on te dit qu’il assure ça devrait te suffire, non ?

 

  __ C’est pas ça. C’est juste pour savoir, c’est tout. P’t’être que j’aurais pu avoir entendu parler de lui...

       

   —    P’t’être que, p’t’être que... Arrête de poser des questions et concentre toi sur c’que t’as à faire.

      

Gaspard n’a pas insisté. Ce qu’il avait à faire ! Tu vas voir, tête de bite, ce que j’ai à faire. Tu vas moins ramener ta gueule dans pas longtemps.

 

Pablo se disait que le gamin s’était pas mal attaché à lui, l’air de rien. Il lui demandait toujours son avis pour tout. Le black savait que son frère était mort un peu avant qu’il arrive. Ils l’avaient retrouvé pendu à ce qu’il paraît. Il avait écrit une lettre où il expliquait son geste. Des dettes de jeu impossibles à rembourser. Mais un soir, au Moskito, la boîte de nuit du Patron, il y avait deux mecs complètement partis qui parlaient un peu fort. Ils étaient au bout du bar et Pablo s’était approché pour commander un soda. Et puis ce qu’il avait entendu l’avait retenu. Il était resté là, à siroter son verre.

 

   — Il devait rien ! je te dis.

 

   — Comment tu l’sais qu’il devait rien ? Il jouait sitôt qu’il avait deux thunes.

         

   — C’est possible. Mais c’est pas la raison.

 

   — Alors, vas-y, c’est quoi la raison monsieur je sais tout ?

 

   — Il a fourré Luce.

 

   — T’es sérieux ?

 

   — Devine ! Cette chaudasse ! elle le lâchait pas. Il avait p’t’être un shibre de nègre. En tout cas elle en pouvait plus.

 

   — Qui c’est qui t’as raconté ça ?

 

   — Antonio.

 

   — Le cuistot ?

 

   — Ouais. A la fin, le mec a craqué et il a fini par la fourrer. Il était un peu barge ce môme.

           

  — Et c’est pour ça qu’on a dû l’accrocher au plafond ?

 

   — Ben, ouais.

 

   — J’m’en branle de la raison d’toute façon. Il voulait pas écrire cette putain d’lettre ce connard. Tu t’souviens ?

 

  —  Ouais. Au début. Après il en aurait bien écrit une dizaine. Il m’a pissé dessus, cet enculé, pendant que j’l’accrochais.

 

 

L’autre s’était fendu la poire.

 

   — Pauvre con ! Tu trouves ça drôle ?

 

   — Eh ! Calme ! C’est pas moi qui t’ai pissé dessus.

 

Le gamin n’était pas au courant de ça. Tant mieux. D’ailleurs, personne n’était au courant. C’est par hasard qu’il était tombé sur les deux tueurs qui discutaient. C’est une info qu’il avait gardée pour lui. Ça pouvait servir. On ne savait jamais. Et dans tous les cas, il valait mieux la fermer là-dessus.

 

Bronco a tourné un peu la tête. Il a dit.

 

— On va passer prendre le mec de Melun à la cimenterie. Après on trace direct.

       

Il s’adressait à Gaspard.

 

Ils ont traversé une espèce de sous-bois par une petite route départementale, pour déboucher sur la zone industrielle. C’était dimanche. Pas un chat. Le portail de la cimenterie serait ouvert. Les jeunes avaient dû s’en charger dans la nuit et ils devaient être en poste autour du bâtiment. Ils étaient quatre. Fallait que le boulot soit vite fait.

 

Arrivés devant la grille, Pablo est descendu. Le cadenas avait été sectionné et il a ouvert le portail métallique en grand. La Mercedes s’est avancée et il a refermé derrière elle.

 

— Il a un prénom, le mec ? Que je sache comment l’appeler au moins ? a demandé Gas.

 

Il voulait des infos pour les queufs aussi. Le maximum.

 

   — Maltèse.

 

Pablo a tourné la tête pour regarder Bronco. Le black savait que l’autre aimait les BD de Corto Maltese. Il avait envie de se marrer. Bronco l’a regardé sans sourire, alors il s’est abstenu.

 

   — C’est bizarre comme nom ! a dit Gas.

 

   — Et Gaspard ? C’est pas bizarre ?

 

   — Ben, moins quand même.

 

Bronco est allé se garer à l’arrière du bâtiment. Près des grands barils en ferraille. Ils étaient énormes ces trucs. Il devait y en avoir une dizaine. Une fois là, il a dit à tout le monde de descendre.

 

Pablo se sentait toujours aussi relax. Ça allait être une nouvelle expérience. Il aimait ça. Et puis, cerise sur le gâteau, une promotion rapide. Ils sont descendus et Bronco leur a fait signe de le suivre. Il a été vers les barils en laissant Pablo et Gaspard passer devant.

 

  __  On va où ? Il est où, le mec ?

 

  __  Y’a un peu de matos à prendre dans le hangar, là.

 

Pablo a désigné le bâtiment du doigt, à une vingtaine de mètres. - Il nous attend dedans. C’est plus discret.

 

A ce moment, il fallait se faufiler entre les barils, une personne à la fois, et Pablo a laissé passer Gaspard devant. Bronco les avait rejoint et il est passé le deuxième. Pablo a fait le tour en contournant le camion garé là. Au milieu des barils, Gas a dû se douter de quelque chose car il a tourné brusquement la tête en arrière. Mais c’était déjà trop tard. Le nœud coulant s’est resserré sur son cou et Pablo arrivait face à lui. Il aurait voulu dire quelque chose, mais avec cette merde sur sa trachée, il n’émettait qu’un gargouillis mouillé. Comme s’il l’avait entendu, Bronco a relâché sa prise et Gas a crié. Enfin, si on pouvait appeler ça un cri.

 

   — Eh ! Pablo ? Qu’est-ce qui s’passe ? Vous faites quoi, putain ?

 

Il pensait trouver du secours de ce côté, mais il se trompait.        

Fouille-le, Pablo. a dit Bronco.

 

Gaspard a essayé de se débattre mais aussitôt, la lanière a écrasé sa trachée.

 

Le black l’a palpé. Il avait l’habitude et il a trouvé le micro et le boîtier avec. Il a arraché le tout sans ménagement. Et puis les deux flingues évidemment. C’est Bronco qui les a pris.

 

__  Entre ton frère qui baise la femme du patron et toi qu’es une balance, vous êtes une belle famille d’enculés, petit, lui a balancé Bronco.

 

Gaspard était terrorisé et la preuve, c’est qu’il s’était pissé et chié dessus. Bon, c’est incontrôlable comme truc. C’était pas le premier. Ni le dernier, c’est sûr.

 

Ils l’ont forcé à avancer et Gaspard a voulu encore ruer dans les brancards. Pablo lui a collé une tarte dans la gueule qui l’a à moitié assommé. Ils s’étaient mis d’accord avec Bronco, alors quand ce dernier a lâché le môme, Pablo l’a soulevé comme une plume et l’a balancé la tête la première dans le grand baril bleu qui se trouvait juste là, au milieu des autres. Ça a fait un bruit horrible quand la tronche du gamin s’est écrasée au fond du tonneau vide. S’attendant à ce qu’il soit plein de ciment frais, Pablo avait mis toute son énergie dans la poussée.

 

   — T’es con ou quoi, putain ? a dit Bronco,  J’t’avais dit les rouges.

 

Pablo était encore sous le choc. Pas que le sort de Gaspard le touchait, mais il se disait qu’il venait de merder. Si l’autre était mort, c’était cuit.

 

   — Sors-le d’là-d’dans.

 

Pablo a attrapé les jambes du môme et l’a sorti du baril. Sa tête pissait le sang. Il avait le nez bizarrement aplati et les dents cassées. Plus trop de lèvres, aussi. Il l’a allongé par terre et il a vérifié s’il était encore vivant. Il priait dans sa tête pour que ce soit le cas.

 

 __  S’il est naze, j’en connais un qui va pas être jouasse, a dit Bronco.

 

Il n’en avait rien à foutre, en vérité, et ça n’avait aucune importance. Mais il devait continuer à être crédible. A jouer son rôle. Le black était trop dangereux pour risquer de faire la moindre erreur. Il devait croire à sa mission jusqu’au bout.

 

   — Tu sais comment tu devais le tuer. Comme ça, c’est pas pareil.

 

   — Il est pas mort, je crois.

 

   — S’il comprend pas ce qui lui arrive, ça compte pas non plus.

 

   — J’vais l’réveiller, attends.

 

Il y avait un robinet pas loin, avec un tuyau en caoutchouc. Le black s’est dirigé vers le mur et il a vérifié qu’il y avait bien de l’eau qui arrivait et puis il est revenu, le tuyau qui crachait la flotte à la main. Il a arrosé le gamin qui n’a pas réagi immédiatement. Au bout d’une minute ou deux, le gosse a toussé et il a craché un bout de dent.

 

Pablo s’est penché sur lui.

 

   — Tu m’entends petit ? Réveille-toi, là. C’est important. Il l’a secoué un peu et lui a remis de l’eau sur la gueule.          

Eh ! T’es avec nous, là ?

 

Gaspard revenait lentement à lui, totalement hébété. Choqué. Après quelque temps, Pablo a vu dans ses yeux qu’il reprenait conscience.

 

__  Pourquoi t’as fait ça, gamin ?

 

Il s’en foutait, en vérité. Il voulait vérifier que Gaspard était lucide. C’était les termes du contrat. Il devait comprendre ce qui lui arrivait.

 

   — Alors ?

 

   — J’voulais pas Pablo. Ils m’ont serré. Ils m’auraient fait tomber.

 

Il s’est mis à pleurer.

 

   — Mais y’a plus d’bande. Plus rien. Si vous m’laissez partir, j’m’en sortirai.

 

Avec ses dents pétées et ses lèvres en lambeaux, on aurait dit une sale gargouille qui bafouillait en bavant. C’est bon. Il était bien lucide.

 

Bronco patientait. Il avait du mal à garder son calme et il tripotait le calibre dans la poche de son veston.

 

Pablo a traîné le gosse qui disait :

 

   — On peut s’arranger, Pablo. On peut...

 

Il était encore en train de pleurnicher quand le black l’a soulevé et lui a collé la tête dans le baril. Le rouge. Mais il avait quand même jeté un œil avant. Pour être sûr. Il s’est cramponné aux jambes de Gaspard, qui dansait la salsa, et malgré sa force, il a pris un coup de talon dans la tronche. Au bout d’un moment, l’autre ne bougeant plus, Pablo l’a lâché. Bronco, derrière lui, épiait ses moindres gestes. Le black a attendu encore un peu près du baril, bêtement, au cas où le petit aurait des spasmes. Comme Angelo. Il était stupidement de dos et Bronco en a profité pour lui coller une balle dans la tête. Avec le flingue du môme. Puis il a poussé un soupir de soulagement.

C’était réglé. Enfin, putain ! Fallait qu’il soit dangereux, ce con de black, pour que le boss ait eu peur qu’il lui fasse de l’ombre un jour. Et l’autre petite balance, là, qui croyait nous niquer. Bandes de glands ! Lui, il n’était pas con. Il se faisait son blé en douce, peinard. Il n’était pas trop gourmand et le boss ne voyait que par lui. Par contre, la petite équipe était décimée. Il allait devoir trouver d’autres mecs. Mais c’était pas un problème. Tiens ! comme ces minots qui arrivaient. Ils avaient entendu le coup de feu et ils rappliquaient, comme prévu. Tous des têtes brûlées, ces gamins. Il faudrait qu’il en parle au patron. Il y en avaient deux ou trois qui n’étaient pas mal, parmi eux. Comme Sylva qui s’amenait vers lui en souriant. Les trois autres suivaient en rigolant et il les entendaient d’ici.

 

Il est allé au devant de Sylva en souriant, lui aussi, quand la balle l’a fauché en lui arrachant la moitié de la tête. Les jeunes n’ont pas perdu de temps. Ils ont emballé les cadavres vite fait. Ils avaient tout amené avec eux. Ils ont retiré Gaspard du baril et c’était juste. Encore trente minutes et ils auraient été obligés de se coltiner le baril avec. Ils ont chargé les corps dans la Mercedes et là, ils ont eu la surprise de trouver Bach. Ils s’en foutaient. Un de plus, un de moins... Un des gamins a pris le volant. Mr Batista avait bien dit de ne laisser aucune trace. Il était sacrément énervé quand il les avait convoqués. Normalement, ils ne bossaient pas pour les mafieux, qui avaient leurs hommes à eux. Mais il arrivait qu’ils aient besoin de types de l’extérieur. C’était le cas. De savoir qu’il se faisait enfler par son homme de confiance depuis des lustres, ça l’a rendu fou, le vieux. Il était d’accord pour prendre deux mecs de chez eux à plein temps en échange du service de ce matin.

 

La relève était là. Attention les yeux ! Sylva va vous bouffer tout crus ! Il a rejoint ses deux potes et ils sont montés dans l’Audi avant de s’éloigner, suivis par la Mercedes et ses trois cadavres.

 

 

                                                                                  FIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 


14/08/2013
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